
Illustration de Caroline Berthet
ETAT DES LIEUX
L’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles neurocognitifs (TNC) exerce une pression considérable sur les systèmes de soins et les aidants. Ces pathologies, incluant Alzheimer et autres, affectent plus de 55 millions de personnes, chiffre pouvant atteindre 152 millions d’ici 2050 (OMS, 2023). Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) touchent environ 97 % des personnes âgées atteintes vivant à domicile (Cloak N., Al-Khalili Y., 2019). Les SCPD, avec des manifestations variées, sont éprouvants pour les patients et leurs aidants car ce sont en effet des maladies à « double tropisme neurologique, tout d’abord en détruisant le cerveau des patients et aussi en rongeant celui des aidants » (Sirvain S., 2019). L’Inventaire neuropsychiatrique (NPI) identifie douze catégories de symptômes dont les manifestations comportementales sont variables en fonction de l’évolution de la maladie : en début de pathologie apparaissent la dépression et l’anxiété, puis l’apathie, et enfin l’irritabilité, l’agitation, les idées délirantes, les hallucinations, les comportements moteurs aberrants (Noblet-Dick M. et al., 2004)...
Ces symptômes, loin d’être anodins, peuvent accélérer la progression de la maladie (Zahodne L. et al., 2015), augmenter le risque d’institutionnalisation (Toot et al., 2017) et exacerber la détresse des aidants (Feast et al., 2016). Le lit de ces SCPD est bien souvent l’anxiété : être perdu dans des temps et des lieux, rechercher des gens disparus depuis longtemps, ne pas partager la réalité des autres, etc. L’abord de ces personnes malades se doit de se faire dans cette vision globale chère à la gériatrie avec des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Les traitements palliatifs médicamenteux des SCPD sont souvent délétères à moyen ou long terme avec un cortège iatrogénique occasionnant chez ces patients fragiles, des chutes, de la confusion, des troubles digestifs, etc. Dans ce contexte, le rôle des aidants revêt une importance capitale. Un proche aidant est défini comme une personne apportant une aide non professionnelle régulière (art. L. 113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles). La situation d’aidance peut affecter les sphères personnelle, familiale, sociale et professionnelle. A cela s’ajoute la dimension affective du lien avec la personne aidée, qui peut entraîner chez l’aidant un surinvestissement, un sentiment de culpabilité et un épuisement croissant, la HAS soulignant que cela entraîne des répercussions sur la santé des aidants, avec plus de la moitié des conjoints développant une dépression et un risque de surmortalité de plus de 60 % dans les trois ans suivant le début de la maladie de leur proche (HAS, 2024 et 2010). Feast et al. (2016) démontrent que certains symptômes, comme la dépression, l’agitation et l’agressivité, sont particulièrement éprouvants pour les aidants.
L’apathie, bien que moins perçue comme dérangeante, mérite une attention particulière en raison de sa prévalence et de son intensité élevées (Fauth et Gibbons, 2014 ; Zhao et al., 2016). Cette dichotomie entre la perception des symptômes et leur impact réel souligne l’importance d’une formation des aidants sur la nature et les conséquences des manifestations spécifiques de la personne âgée. Il apparaît donc essentiel de développer des stratégies de soutien ciblées pour les aidants. Celles-ci doivent prendre en compte la variabilité des symptômes, leur impact différentiel sur les aidants, et s’appuyer sur une compréhension approfondie des mécanismes sous-jacents à leur apparition. Une telle approche, centrée sur les besoins spécifiques des aidants et des patients, permettrait non seulement d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de TNC, mais aussi de prévenir l’épuisement des proches aidants, piliers essentiels du système de soins à domicile.
Les recherches de Duff et Nightingale (2006, 2007), les premières chez des patients ayant un trouble neurocognitif majeur (TNCM), montrent que les personnes âgées ayant bénéficié de séances d’hypnose sur une année ont amélioré leurs performances en concentration, activités quotidiennes, mémoire immédiate et mémoire des événements significatifs, par rapport aux groupes témoins. Ces auteurs pensent que les personnes atteintes de troubles cognitifs peuvent être conscientes de la perte de leurs capacités, augmentant ainsi l’anxiété et la dépression, ce qui entraîne une perte de mémoire et de motivation. L’hypnose pourrait réduire l’anxiété et la dépression, libérant ainsi les ressources cognitives. Les méthodes pour adapter l’hypnose dans le grand âge se développent et les études commencent à fournir des résultats (Lutgendorf, 2007 ; Billot et al., 2020 ; Dumain et al., 2022 ; Floccia et al., 2024 ; Perennou, 2017 ; Perennou et Sirvain et al., 2024). Dans sa revue portant sur sept études dans la littérature, Emilie Wawrziczny et al. (2021) nous apportent des éléments précieux. Ces études se sont intéressées à l’utilisation de l’hypnose chez des patients diagnostiqués avec la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la démence vasculaire ou la maladie d’Alzheimer.
Elles retrouvaient une hypnotisabilité modérée à élevée des patients et une certaine suggestibilité. L’hypnose permettait une amélioration des symptômes physiques (sommeil, chutes, spasmes...) et psychologiques (anxiété, concentration, estime de soi). Au-delà des résultats, cette étude mettait en évidence certaines adaptations nécessaires de l’hypnose. Pour les patients présentant un TNCM à un stade débutant, la phase d’induction est plus directive, avec peu de pauses. Les souvenirs utilisés s’appuient sur la mémoire à long terme qui est mieux préservée avec des suggestions s’appuyant sur le VAKOG. Enfin, les séances sont souvent fractionnées, plus courtes en raison de la fatigue attentionnelle (moins de 30 minutes) et doivent être régulières pour renforcer l’utilisation. Dans les stades plus évolués, la suggestibilité persiste, mais le mode devient conversationnel nécessitant une utilisation accrue du paraverbal et de la synchronisation, en utilisant l’environnement (Wawrziczny et al., 2021).
L’HYPNOSE PEUT-ELLE AIDER À SOUTENIR LES PROCHES AIDANTS ?
L’hypnose se développe dans les milieux de soins, mais peut-elle aider les proches aidants ? Les données sur l’hypnose pour les aidants familiaux sont rares. Pourtant, l’hypnose peut aider les aidants à redécouvrir leurs ressources. Sophie Lagouarde (2020) affirme que l’hypnose soulage les symptômes comme les troubles du sommeil et aide à traiter le syndrome d’épuisement des aidants. Elle améliore aussi la communication avec le proche malade. « L’hypnose est un outil précieux dans l’accompagnement des aidants familiaux. Non seulement elle permet de soulager les symptômes les plus saillants comme les troubles du sommeil, mais elle s’avère aussi être le socle du travail psychothérapique mené autour du syndrome d’épuisement, bien caractéristique de la souffrance des aidants familiaux. Par ailleurs, transmettre aux aidants familiaux quelques notions autour de la pratique du langage hypnotique afin qu’ils l’utilisent auprès de leur proche malade améliore la communication et apaise la relation » (Floccia M., 2024).
CAS CLINIQUE
Madame Jeanne, 84 ans, vit à domicile, veuve depuis vingt ans, MMS 19. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et a vu sa pathologie progresser après deux événements marquants : le décès de sa soeur Angèle et la pandémie de Covid-19 qui a accentué l’impression de ne plus être en sécurité. Des aides sont en place (infirmière pour les traitements et la toilette, auxiliaires de vie) et permettent de l’entourer dans son environnement où elle se reconnaît comme étant chez elle. Mais, parfois absente, elle exprime de l’inquiétude et pose des questions décalées. Ses fils, André et Christophe, réagissent différemment à ses répétitions et oublis. André est impatient, tandis que Christophe répond patiemment.
- Madame Jeanne : « Où est Angèle ? Je l’ai vue tout à l’heure, mais je ne la vois plus.
- André : Mais tu sais bien qu’elle est décédée il y a trois ans maintenant, tu ne peux pas l’avoir vue tout à l’heure, voyons, rappelle-toi ! Madame Jeanne fond en larmes. Tandis que l’autre fils, Christophe, a compris l’importance d’accepter la situation et de répondre patiemment aux mêmes questions posées à quelques minutes d’intervalle tout en essayant de l’apaiser.
- Madame Jeanne : Sais-tu où est Angèle ? Je ne la trouve plus ?
- Christophe : Maman, Tatie Angèle nous a quittés pour toujours.
- Madame Jeanne : Ah bon, mais où cela ? Elle ne doit pas être bien loin ?
- Christophe : Je crois que c’est définitif maman. Madame Jeanne pleure doucement : Elle nous a abandonnés ? Ah oui, je deviens folle, elle est morte Angèle, je suis si vieille, je perds la tête. » Si Madame Jeanne revit à chaque fois le décès de sa soeur, la façon dont son fils Christophe lui annonce cette nouvelle est différente. Mais bien qu’il fasse preuve de douceur et de patience, il éprouve des difficultés et manque d’outils pour apaiser efficacement l’anxiété et la douleur de sa mère face à la perte de sa soeur. Suite à une évaluation gériatrique, Madame Jeanne est orientée vers une hypnothérapeute pour l’aider, ainsi que ses aidants, à mieux gérer ses phases d’anxiété. La rencontre révèle que Madame Jeanne était institutrice et très investie dans son foyer et sa famille. En discutant de cela, Madame Jeanne qui était agitée en arrivant, se détend progressivement.
- Hypnothérapeute : « J’ai entendu parler de votre maison, on m’a dit qu’elle est bien tenue.
- Madame Jeanne : Oui, j’aime que tout soit propre.
- Hyp. : Comme cela, vos garçons se sentent bien.
- Madame Jeanne : Oui, ils y jouent, mais ils me font du dégât ! Que dire, ils sont si pleins de vie ! Mais la dernière fois, il y en a un qui m’a cassé un beau vase… L’hypnothérapeute, par des questions ciblées, cherche à déterminer dans quelle période de vie se trouve Madame Jeanne à ce moment précis.
- Hyp. : Un vase, vous en avez d’autres ?
- Madame Jeanne : Oh oui, j’aime avoir de belles fleurs dans ma maison.
- Hyp. : Oh, moi aussi, des fleurs qui embaument, de toutes les couleurs.
- Madame Jeanne : Plutôt des pivoines...
- Hyp. : Vous avez des pivoines ? Ce sont de belles fleurs, leur parfum embaume comme un doux nuage de pétales qui diffuse...
- Madame Jeanne (en prenant une grande inspiration) : Rose pâle...
- Hyp. : (en se synchronisant avec cette grande inspiration et en lançant l’enregistrement – Madame Jeanne a été prévenue avant la séance que possiblement l’hypnothérapeute l’enregistrerait pour la lui remettre) : Rose pâle, les pétales sont doux et duveteux, leur odeur passe de pièce en pièce et crée dans la maison de la douceur et du calme... » Madame Jeanne ne parle plus, son regard est fixe. Plus fréquemment dans le grand âge, que le patient présente des troubles neurocognitifs ou pas, il garde les yeux ouverts ou miclos. Néanmoins le regard devient fixe et le réflexe de clignement diminue. Milton H. Erickson nous disait que l’altération du clignement du regard était un signe de transe (Erickson M.H., 1976).
- Hyp. : « ... Et cette douce odeur qui diffuse apporte du calme, de la sérénité, et c’est comme si un voile de légèreté et de parfum se posait dans cette maison où vous vous sentez bien, calme, protégée, rassurée. » L’identification d’un lieu sécurisant, appelé « safe place », est importante pour cette population qui perd ses repères. Cela permet de travailler sur leur sentiment d’insécurité, tout en leur offrant un endroit ressourçant à renforcer. Pour Madame Jeanne, sa maison va devenir cette safe place que l’hypnothérapeute va pouvoir développer et utiliser pendant les séances.
- Hyp. : « Vous prenez le temps de disposer ces magnifiques pivoines, qui embaument votre nez. Vos mains expertes les placent avec soin dans les vases. Le bouquet est si beau, il apporte de la gaieté et de la douceur dans toute la maison. Vous vous sentez particulièrement bien dans ce lieu familier qui vous protège. Vous entendez même les rires et les voix de vos fils, qui apprécient eux aussi ces doux parfums floraux. C’est une délicieuse sensation de tranquillité et d’accueil dans cette maison chaleureuse où vous vous sentez bien... Madame Jeanne a les yeux fixes, des larmes perlent.
- Hyp. : ... et vous savez leur apporter l’eau qui leur est nécessaire pour qu’elles sentent bien, cette eau qui coule et qui apporte le calme. » Madame Jeanne semble commencer à fatiguer, elle a de légers mouvements.
Les séances d’hypnose dans le grand âge sont souvent plus courtes, les patients fatiguant. Cela est d’autant plus vrai que le patient présente un TNCM.
- Hyp. : Dans les jours et les semaines à venir, vous allez être surprise de constater combien il vous sera facile de retrouver ces sensations agréables, ce calme, cette protection. Simplement en voyant une pivoine, en pensant et en sentant son odeur, dans votre agréable maison, vous retrouverez de manière simple ces sensations de calme. » Madame Jeanne sourit. Ensemble, elles choisissent sur Internet une image de…
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L’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles neurocognitifs (TNC) exerce une pression considérable sur les systèmes de soins et les aidants. Ces pathologies, incluant Alzheimer et autres, affectent plus de 55 millions de personnes, chiffre pouvant atteindre 152 millions d’ici 2050 (OMS, 2023). Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) touchent environ 97 % des personnes âgées atteintes vivant à domicile (Cloak N., Al-Khalili Y., 2019). Les SCPD, avec des manifestations variées, sont éprouvants pour les patients et leurs aidants car ce sont en effet des maladies à « double tropisme neurologique, tout d’abord en détruisant le cerveau des patients et aussi en rongeant celui des aidants » (Sirvain S., 2019). L’Inventaire neuropsychiatrique (NPI) identifie douze catégories de symptômes dont les manifestations comportementales sont variables en fonction de l’évolution de la maladie : en début de pathologie apparaissent la dépression et l’anxiété, puis l’apathie, et enfin l’irritabilité, l’agitation, les idées délirantes, les hallucinations, les comportements moteurs aberrants (Noblet-Dick M. et al., 2004)...
Ces symptômes, loin d’être anodins, peuvent accélérer la progression de la maladie (Zahodne L. et al., 2015), augmenter le risque d’institutionnalisation (Toot et al., 2017) et exacerber la détresse des aidants (Feast et al., 2016). Le lit de ces SCPD est bien souvent l’anxiété : être perdu dans des temps et des lieux, rechercher des gens disparus depuis longtemps, ne pas partager la réalité des autres, etc. L’abord de ces personnes malades se doit de se faire dans cette vision globale chère à la gériatrie avec des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Les traitements palliatifs médicamenteux des SCPD sont souvent délétères à moyen ou long terme avec un cortège iatrogénique occasionnant chez ces patients fragiles, des chutes, de la confusion, des troubles digestifs, etc. Dans ce contexte, le rôle des aidants revêt une importance capitale. Un proche aidant est défini comme une personne apportant une aide non professionnelle régulière (art. L. 113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles). La situation d’aidance peut affecter les sphères personnelle, familiale, sociale et professionnelle. A cela s’ajoute la dimension affective du lien avec la personne aidée, qui peut entraîner chez l’aidant un surinvestissement, un sentiment de culpabilité et un épuisement croissant, la HAS soulignant que cela entraîne des répercussions sur la santé des aidants, avec plus de la moitié des conjoints développant une dépression et un risque de surmortalité de plus de 60 % dans les trois ans suivant le début de la maladie de leur proche (HAS, 2024 et 2010). Feast et al. (2016) démontrent que certains symptômes, comme la dépression, l’agitation et l’agressivité, sont particulièrement éprouvants pour les aidants.
L’apathie, bien que moins perçue comme dérangeante, mérite une attention particulière en raison de sa prévalence et de son intensité élevées (Fauth et Gibbons, 2014 ; Zhao et al., 2016). Cette dichotomie entre la perception des symptômes et leur impact réel souligne l’importance d’une formation des aidants sur la nature et les conséquences des manifestations spécifiques de la personne âgée. Il apparaît donc essentiel de développer des stratégies de soutien ciblées pour les aidants. Celles-ci doivent prendre en compte la variabilité des symptômes, leur impact différentiel sur les aidants, et s’appuyer sur une compréhension approfondie des mécanismes sous-jacents à leur apparition. Une telle approche, centrée sur les besoins spécifiques des aidants et des patients, permettrait non seulement d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de TNC, mais aussi de prévenir l’épuisement des proches aidants, piliers essentiels du système de soins à domicile.
Les recherches de Duff et Nightingale (2006, 2007), les premières chez des patients ayant un trouble neurocognitif majeur (TNCM), montrent que les personnes âgées ayant bénéficié de séances d’hypnose sur une année ont amélioré leurs performances en concentration, activités quotidiennes, mémoire immédiate et mémoire des événements significatifs, par rapport aux groupes témoins. Ces auteurs pensent que les personnes atteintes de troubles cognitifs peuvent être conscientes de la perte de leurs capacités, augmentant ainsi l’anxiété et la dépression, ce qui entraîne une perte de mémoire et de motivation. L’hypnose pourrait réduire l’anxiété et la dépression, libérant ainsi les ressources cognitives. Les méthodes pour adapter l’hypnose dans le grand âge se développent et les études commencent à fournir des résultats (Lutgendorf, 2007 ; Billot et al., 2020 ; Dumain et al., 2022 ; Floccia et al., 2024 ; Perennou, 2017 ; Perennou et Sirvain et al., 2024). Dans sa revue portant sur sept études dans la littérature, Emilie Wawrziczny et al. (2021) nous apportent des éléments précieux. Ces études se sont intéressées à l’utilisation de l’hypnose chez des patients diagnostiqués avec la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la démence vasculaire ou la maladie d’Alzheimer.
Elles retrouvaient une hypnotisabilité modérée à élevée des patients et une certaine suggestibilité. L’hypnose permettait une amélioration des symptômes physiques (sommeil, chutes, spasmes...) et psychologiques (anxiété, concentration, estime de soi). Au-delà des résultats, cette étude mettait en évidence certaines adaptations nécessaires de l’hypnose. Pour les patients présentant un TNCM à un stade débutant, la phase d’induction est plus directive, avec peu de pauses. Les souvenirs utilisés s’appuient sur la mémoire à long terme qui est mieux préservée avec des suggestions s’appuyant sur le VAKOG. Enfin, les séances sont souvent fractionnées, plus courtes en raison de la fatigue attentionnelle (moins de 30 minutes) et doivent être régulières pour renforcer l’utilisation. Dans les stades plus évolués, la suggestibilité persiste, mais le mode devient conversationnel nécessitant une utilisation accrue du paraverbal et de la synchronisation, en utilisant l’environnement (Wawrziczny et al., 2021).
L’HYPNOSE PEUT-ELLE AIDER À SOUTENIR LES PROCHES AIDANTS ?
L’hypnose se développe dans les milieux de soins, mais peut-elle aider les proches aidants ? Les données sur l’hypnose pour les aidants familiaux sont rares. Pourtant, l’hypnose peut aider les aidants à redécouvrir leurs ressources. Sophie Lagouarde (2020) affirme que l’hypnose soulage les symptômes comme les troubles du sommeil et aide à traiter le syndrome d’épuisement des aidants. Elle améliore aussi la communication avec le proche malade. « L’hypnose est un outil précieux dans l’accompagnement des aidants familiaux. Non seulement elle permet de soulager les symptômes les plus saillants comme les troubles du sommeil, mais elle s’avère aussi être le socle du travail psychothérapique mené autour du syndrome d’épuisement, bien caractéristique de la souffrance des aidants familiaux. Par ailleurs, transmettre aux aidants familiaux quelques notions autour de la pratique du langage hypnotique afin qu’ils l’utilisent auprès de leur proche malade améliore la communication et apaise la relation » (Floccia M., 2024).
CAS CLINIQUE
Madame Jeanne, 84 ans, vit à domicile, veuve depuis vingt ans, MMS 19. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et a vu sa pathologie progresser après deux événements marquants : le décès de sa soeur Angèle et la pandémie de Covid-19 qui a accentué l’impression de ne plus être en sécurité. Des aides sont en place (infirmière pour les traitements et la toilette, auxiliaires de vie) et permettent de l’entourer dans son environnement où elle se reconnaît comme étant chez elle. Mais, parfois absente, elle exprime de l’inquiétude et pose des questions décalées. Ses fils, André et Christophe, réagissent différemment à ses répétitions et oublis. André est impatient, tandis que Christophe répond patiemment.
- Madame Jeanne : « Où est Angèle ? Je l’ai vue tout à l’heure, mais je ne la vois plus.
- André : Mais tu sais bien qu’elle est décédée il y a trois ans maintenant, tu ne peux pas l’avoir vue tout à l’heure, voyons, rappelle-toi ! Madame Jeanne fond en larmes. Tandis que l’autre fils, Christophe, a compris l’importance d’accepter la situation et de répondre patiemment aux mêmes questions posées à quelques minutes d’intervalle tout en essayant de l’apaiser.
- Madame Jeanne : Sais-tu où est Angèle ? Je ne la trouve plus ?
- Christophe : Maman, Tatie Angèle nous a quittés pour toujours.
- Madame Jeanne : Ah bon, mais où cela ? Elle ne doit pas être bien loin ?
- Christophe : Je crois que c’est définitif maman. Madame Jeanne pleure doucement : Elle nous a abandonnés ? Ah oui, je deviens folle, elle est morte Angèle, je suis si vieille, je perds la tête. » Si Madame Jeanne revit à chaque fois le décès de sa soeur, la façon dont son fils Christophe lui annonce cette nouvelle est différente. Mais bien qu’il fasse preuve de douceur et de patience, il éprouve des difficultés et manque d’outils pour apaiser efficacement l’anxiété et la douleur de sa mère face à la perte de sa soeur. Suite à une évaluation gériatrique, Madame Jeanne est orientée vers une hypnothérapeute pour l’aider, ainsi que ses aidants, à mieux gérer ses phases d’anxiété. La rencontre révèle que Madame Jeanne était institutrice et très investie dans son foyer et sa famille. En discutant de cela, Madame Jeanne qui était agitée en arrivant, se détend progressivement.
- Hypnothérapeute : « J’ai entendu parler de votre maison, on m’a dit qu’elle est bien tenue.
- Madame Jeanne : Oui, j’aime que tout soit propre.
- Hyp. : Comme cela, vos garçons se sentent bien.
- Madame Jeanne : Oui, ils y jouent, mais ils me font du dégât ! Que dire, ils sont si pleins de vie ! Mais la dernière fois, il y en a un qui m’a cassé un beau vase… L’hypnothérapeute, par des questions ciblées, cherche à déterminer dans quelle période de vie se trouve Madame Jeanne à ce moment précis.
- Hyp. : Un vase, vous en avez d’autres ?
- Madame Jeanne : Oh oui, j’aime avoir de belles fleurs dans ma maison.
- Hyp. : Oh, moi aussi, des fleurs qui embaument, de toutes les couleurs.
- Madame Jeanne : Plutôt des pivoines...
- Hyp. : Vous avez des pivoines ? Ce sont de belles fleurs, leur parfum embaume comme un doux nuage de pétales qui diffuse...
- Madame Jeanne (en prenant une grande inspiration) : Rose pâle...
- Hyp. : (en se synchronisant avec cette grande inspiration et en lançant l’enregistrement – Madame Jeanne a été prévenue avant la séance que possiblement l’hypnothérapeute l’enregistrerait pour la lui remettre) : Rose pâle, les pétales sont doux et duveteux, leur odeur passe de pièce en pièce et crée dans la maison de la douceur et du calme... » Madame Jeanne ne parle plus, son regard est fixe. Plus fréquemment dans le grand âge, que le patient présente des troubles neurocognitifs ou pas, il garde les yeux ouverts ou miclos. Néanmoins le regard devient fixe et le réflexe de clignement diminue. Milton H. Erickson nous disait que l’altération du clignement du regard était un signe de transe (Erickson M.H., 1976).
- Hyp. : « ... Et cette douce odeur qui diffuse apporte du calme, de la sérénité, et c’est comme si un voile de légèreté et de parfum se posait dans cette maison où vous vous sentez bien, calme, protégée, rassurée. » L’identification d’un lieu sécurisant, appelé « safe place », est importante pour cette population qui perd ses repères. Cela permet de travailler sur leur sentiment d’insécurité, tout en leur offrant un endroit ressourçant à renforcer. Pour Madame Jeanne, sa maison va devenir cette safe place que l’hypnothérapeute va pouvoir développer et utiliser pendant les séances.
- Hyp. : « Vous prenez le temps de disposer ces magnifiques pivoines, qui embaument votre nez. Vos mains expertes les placent avec soin dans les vases. Le bouquet est si beau, il apporte de la gaieté et de la douceur dans toute la maison. Vous vous sentez particulièrement bien dans ce lieu familier qui vous protège. Vous entendez même les rires et les voix de vos fils, qui apprécient eux aussi ces doux parfums floraux. C’est une délicieuse sensation de tranquillité et d’accueil dans cette maison chaleureuse où vous vous sentez bien... Madame Jeanne a les yeux fixes, des larmes perlent.
- Hyp. : ... et vous savez leur apporter l’eau qui leur est nécessaire pour qu’elles sentent bien, cette eau qui coule et qui apporte le calme. » Madame Jeanne semble commencer à fatiguer, elle a de légers mouvements.
Les séances d’hypnose dans le grand âge sont souvent plus courtes, les patients fatiguant. Cela est d’autant plus vrai que le patient présente un TNCM.
- Hyp. : Dans les jours et les semaines à venir, vous allez être surprise de constater combien il vous sera facile de retrouver ces sensations agréables, ce calme, cette protection. Simplement en voyant une pivoine, en pensant et en sentant son odeur, dans votre agréable maison, vous retrouverez de manière simple ces sensations de calme. » Madame Jeanne sourit. Ensemble, elles choisissent sur Internet une image de…
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Dr Marie Floccia
Médecin gériatre et algologue, praticien hospitalier et cheffe de service Douleur et médecine intégrative au CHU de Bordeaux. Elle a exercé dans divers services de gériatrie et elle fait désormais des consultations pour des patients douloureux chroniques ou présentant des troubles du comportement dans le cadre d’une pathologie neurocognitive. Elle enseigne l’hypnose en gériatrie au DIU d'Hypnose Médicale de Bordeaux et est l’auteure de deux ouvrages sur la question : Hypnose en pratiques gériatriques, Dunod (2018) ; Cas pratiques en Hypnose gériatrique, Dunod (2024).
Geneviève Perennou
Hypnothérapeute et formatrice en hypnose dans les hôpitaux et les Ehpad, spécialisée dans l’accompagnement des personnes ayant une pathologie neurodégénérative. Auteure de plusieurs ouvrages : L’hypnose pour accompagner les patients âgés, Satas (2016) ; Métaphores hypnotiques pour accompagner les patients, Satas (2019) ; Hypnose médicale de la personne âgée pour les professionnels de santé, coécrit avec Serge Sirvain, Dunod (2024).
Médecin gériatre et algologue, praticien hospitalier et cheffe de service Douleur et médecine intégrative au CHU de Bordeaux. Elle a exercé dans divers services de gériatrie et elle fait désormais des consultations pour des patients douloureux chroniques ou présentant des troubles du comportement dans le cadre d’une pathologie neurocognitive. Elle enseigne l’hypnose en gériatrie au DIU d'Hypnose Médicale de Bordeaux et est l’auteure de deux ouvrages sur la question : Hypnose en pratiques gériatriques, Dunod (2018) ; Cas pratiques en Hypnose gériatrique, Dunod (2024).
Geneviève Perennou
Hypnothérapeute et formatrice en hypnose dans les hôpitaux et les Ehpad, spécialisée dans l’accompagnement des personnes ayant une pathologie neurodégénérative. Auteure de plusieurs ouvrages : L’hypnose pour accompagner les patients âgés, Satas (2016) ; Métaphores hypnotiques pour accompagner les patients, Satas (2019) ; Hypnose médicale de la personne âgée pour les professionnels de santé, coécrit avec Serge Sirvain, Dunod (2024).
N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Illustrations de Caroline Berthet
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Illustrations de Caroline Berthet